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Chaque mois nous partageons dans nos newsletters un court texte commandé aux auteurs et autrices complices des Tréteaux de France. Nous les invitons à poser leur regard sur le monde aujourd’hui et mettre l’enfance au cœur de leurs récits.

Septembre 2024

Simon Grangeat

Aujourd’hui, c’est peut-être ma dernière rentrée.   
Ce n’est pas parce que je préfère les vacances, les bandes de copains et de copines, les grasses matinées ou les nuits à la belle étoile, non.   
J’aime bien tout ça, c’est vrai, mais apprendre, je ne déteste pas non plus.
Pas au point de déserter, en tout cas.          
Pas au point de dire adieu aux profs.
Adieu aux cours.        
Adieu aux leçons d’anglais, d’Histoire, de math, de sciences, de français...

Si aujourd’hui, je me dis que c’est peut-être ma dernière rentrée, c’est que je me demande à quoi ça sert, tout ça...               
À quoi ça sert de suivre des cours de Sciences de la Vie et de la Terre quand le monde entier laisse mourir les espèces les unes après les autres ?    
À quoi ça sert d’apprendre une langue étrangère quand on ne sait même plus parler à son voisin ?        
À quoi ça sert d’apprendre les équations à trois inconnues quand nos dirigeants ne comprennent même pas ce que ça signifie, l’égalité ?         
À quoi ça sert d’apprendre l’Histoire quand tout le monde semble avoir oublié le vingtième siècle et s’apprête à nous faire revivre les mêmes combats – contre la barbarie et ses cauchemars ?     
À quoi ça sert vraiment, l’école ?

Aujourd’hui, c’est la rentrée, mais je ne vais pas m’intéresser aux profs.    
Je ne vais pas m’intéresser aux cours.          
Je ne vais pas m’intéresser aux leçons d’anglais, d’Histoire, de math, de sciences, de français...
Je vais essayer de découvrir pourquoi on nous fait apprendre tout ça, de génération en génération, et pourquoi ça ne change rien au monde dans lequel on vit.

Si je trouve une réponse, je continue.          
Sinon, je prends la tangente – direction la vraie vie.


Juillet 2024

Clea Petrolesi

C’est Nino qui m’a dit ça hier : « Tu connais pas la règle Mbappé ? C’est facile. Le N se transforme en M quand il est devant un M, un B ou un P. Pour t’en souvenir, tu penses à MBaPpé ! C’est ses trois consonnes à lui, tu vois. La maîtresse a même dit que la règle Mbappé, c’était une exception française, tu vois, une exception ! »

Ouais, je vois. Sauf que MBappé l’autre soir, au match de l’Europe, il s’est cassé le nez. Ça m’a mis la rage, parce que l’équipe de France sans MBappé, baaah, c’est plus vraiment l’équipe de France. Franchement, je suis dégouté. Même l’entraineur l’a dit au micro du mec de la télé : « La France avec Kylian sera toujours plus forte. Mais si les nouvelles ne vont pas dans ce sens-là, on se battra sans lui. »

Sans l’exception française ? ! Il est fou l’entraineur !

« Tu sais, y a pas que Kylian qui s’est cassé le nez, on s’est tous cassé le nez au match de l’Europe » m’a dit ma mère en pleurant.

Franchement, je pensais pas qu’elle aimait le foot à ce point.

Elle veut quand même que je révise ma grammaire en attendant, en mode inquiète pour moi.

Donc je reprends, la haine se transforme en aime quand elle est devant Mbappé.

C’est bien ça ?


Juin 2024

Gaëtan Gauvain

Je crois que je m’en remettrai pas
Je suis allé au marché
Je veux dire que tous les samedis, je vais au marché
J’aime bien me faufiler entre les caddies des vieux et puis j’aime bien les gens qui parlent fort
Et surtout j’aime les odeurs. Celles du poissonnier et celles du vendeur d’épice. Celles du fleuriste et du rôtisseur
J’aime bien que ça se mélange
Et ça devient plus qu’une odeur
Y aller, c’est tout un processus. On se lève tôt, on a peur qu’il y ait trop de monde, c’est la pression qui monte pour trouver une place et puis finalement il y a trop de monde. Alors ma mère râle à cause de tous ces problèmes. Et puis après ça va mieux
Quand on sort du marché
Il y a toujours le militant RN qui tend un tract
Mais ma mère le prend jamais
C’est de la solidarité pour le voisin, qui vient du Portugal
Et pour la maîtresse qui est iranienne
Et pour mon copain Abdul
Mais hier
Mon papy
Il l’a pris
Je me suis demandé si c’était réel
Je me suis demandé comment c’était possible que les idées de mon papy et celles de ma mère, elles se mélangent pas
Je crois que je m’en remettrai pas
Si on aime quelqu’un qui a des idées pas bonnes
Est-ce qu’on est mauvais
Soi-même ?


Mai 2024

Yann Verburg

MARSHMALLOW COMING OUT

Une terrasse de café, place de la Mairie. Entre deux averses, le soleil fait son apparition. Les parterres de fleurs scintillent comme des lumières de noël. À une table, toujours comme un noël au printemps, des chocolats chauds à la guimauve... SOFIA (6 ans) engloutit sa guimauve avec gourmandise et engage la conversation avec SON ONCLE, tout en désignant d’un coup de nez l’ami de son oncle, assis près de lui...

— Et vous êtes devenus amis comment ?
— On s’est rencontrés sur une application.
— Il y a longtemps ?
— 11 ans. 

Elle cherche un morceau de guimauve dans le fond de sa tasse.

— Et comme ça, vous vous êtes vus, et vous vous êtes dits que vous étiez bien ensemble, et alors vous êtes restés ensemble.
— Oui.
— Et vous avez des petites copines tous les deux ?
— Non, on est en couple tous les deux.
— Vous êtes en couple ?
— Oui. Des garçons peuvent être en couple avec des garçons et des filles avec des filles.
— (sourire) Vous êtes mariés ?
— Pas encore.
— Pourquoi vous vous embrassez pas alors ?
— Parce que ce n’est pas toujours bien vu de s’embrasser en public.
— Pourquoi ?
— Il y a des gens qui n’acceptent pas toutes formes d’amour.
— (révélation) Ah, je comprends maintenant pourquoi les gens sont gênés quand ça s’embrasse à la télé... (réflexion) Maman et papa s’embrassent pas non plus en public... (conclusion) Mais vous pouvez vous embrasser.
— (sourire)

Devant la Mairie, un passage piétons arc-en-ciel...

« Suite à la recrudescence de violents guet-apens homophobes, tendus depuis les sites de rencontres — un tous les trois jours, ces dernières années en France — la mairie de Montreuil lance une campagne de communication pour informer et inciter les victimes, qui dans 80% des cas n’osent pas le faire : à déposer plainte. Le 17 mai aura lieu la journée internationale de lutte contre les LGBT-phobies. » 


Avril 2024

Sylvain Levey

« Y’a mieux à faire c’est évident » dit l’enfant. 

« Y’a tellement de choses à voir. Le monde est tellement grand. Y’a à catcher le monde et le hasard. Y’a mieux à faire que d’écouter la haine qui sort comme de la morve par les trous de nez. Y’a à planter des arbres et faire pousser des radis ». 

« Y’a vraiment mieux à faire » insiste l’enfant. 

« Y’a à lire tous les livres de la bibliothèque municipale. Y’a à apprendre la trompette et le banjo. Y’a qu’à faire une grande parade, une fanfare pour la joie. Y’a mieux à faire que d’avoir peur de l’autre. Y’a mieux à faire que de mettre des clôtures autour de sa maison ».

« Y’a mieux à faire que d’espérer le pire » répète encore et encore l’enfant. 

« Y’a à démolir les murs, les visibles et invisibles qui font qu’il y aura toujours deux clans. Y’a tellement plus chouette. Y’a les western spaghettis, les sauts de l’ange dans la piscine et le spectacle qui vit. Y’a le spectacle dans la rue si tu veux vraiment le voir. Y’a les doigts plein d’encre. Y’a le soleil qui brille pour celui ou celle qui se fout des nuages ».

« Y’a mieux à faire c’est évident » crie l’enfant du haut de la colline.

L’enfant est face au vent et les voix des enfants parviennent difficilement aux grands de ce monde qui ont les oreilles toutes petites mais l’enfant est malin et courageux et se dit qu’il a encore une chance, il sort de sa poche un papier et hurle au monde le poème qu’il a écrit.


Mars 2024

Gwendoline Soublin

Ce matin je me pschiit
Trois petits pschiit de sent-bon

À l'école, hier, un grand m'a reniflé
Tu pues, il a dit, ton père il pue
Toute ta famille elle pue, c'est l'infection
Ils ont tous rigolé
J'ai demandé à Gabriela de me sniffer
Tu pues un peu
J'ai bien vu dans ses yeux que je puais beaucoup

Ce matin je me savonne à gogo sous la douche
Je planque le parfum de maman dans mon cartable
Pendant la récré, discrétos, je me re-pschiit aux toilettes
Les grands rigolent
Oulalah, mais tu sens la femmelette, toi !
T'es transexuel ou quoi ?
Oh le pédé !
Me touche pas, obsédé !

Quand je rentre de l'école j'ai mal au ventre
Dehors le ciel n'a aucune limite
Maman m'appelle
Gabin, viens vite !
Je viens
Et dans la télé je le vois
Juché sur son tracteur puant
Entouré de ses collègues puants
Il parle haut et clair aux journalistes
Il déroule une banderole
Stoppe les voitures sur l'autoroute
Et on l'applaudit
Et le foin vole
Ça me mouille les yeux

Le lendemain à l'école je ne me pschiit pas
Non
Je suis puant
Super puant
Archi puant
J'empuantis l'univers
et je suis fier
de puer la bouse et la vache et le lisier et le soleil et
l'odeur de mon père.


Février 2024

Marjorie Fabre

Semaine olympique à l’école de la Dernière Chance. La compet’, les records, les podiums, les médailles, d’accord. Mais alors aussi – avec les copains, c’était notre idée – une course de la lose. Pas de chrono, pas de style, tu cours tu gagnes. Une course pour la sprinteuse qui aura tout donné et finira dernière, pour le nageur au bas du podium à quelques centièmes près, à ces espoirs fous, ces élans magnifiques, à ces noms à peine prononcés tout de suite oubliés.

CROWN – Les coureuses et les coureurs entrent sur la piste. Ambiance survoltée dans le stade, la foule acclame ses champions, ses championnes !

Elle, au micro, c’est Crown. Faut toujours qu’elle en fasse trop. Mais c’est vrai qu’on prenait ça au sérieux. Quand on s’est aligné pour le départ avec Box, Blue, Later et Doggie, crois-moi, on faisait pas les malins. Cette course était la nôtre.

Un gars plus grand que les autres s’est planté au milieu de la piste avec son drapeau en l’air et son sifflet. À côté de moi, Box serrait fort son dossard contre lui, les épingles dans son dos ne voulaient pas tenir. Blue, elle, pour une fois, regardait droit devant, un regard qui perçait l’horizon.

CROWN – À vos marques.  Prêtes ? Prêts ? 

Comme jamais.
Au fait, moi c’est Noa mais tout le monde m’appelle Fail.
Sifflet.


Janvier 2024

Catherine Verlaguet

LE GRAND - Bouge pas. Qu’est-ce que t’as dans les poches ? Qu’est-ce que tu fais ?
LE PETIT - Je plante des noyaux d’olives.
L G - Tu seras mort avant que ça ait poussé -  si ça pousse.
L P - C’est pour les enfants du pays de demain.
L G - Y’a plus de pays. T’as regardé autour de toi ? Je vais te dire, moi, ce que tu ne vois pas : l’hôpital qui a sauté, les écoles qui ont fermé, le port avec les bateaux qui faisaient entrer et sortir les marchandises...
L P - Il faut tout réinventer.
L G - Où est-ce que tu les as volés, ces noyaux ?
L P - Je les ai pas volées. J’échange contre des trucs que j’ai.
L G - T’as pas une tête à avoir quoique ce soit.
L P - J’ai des histoires à raconter.
L G - Des histoires ?
L P - Tu veux que je t’en raconte une ?
L G - Ça sert à rien les histoires.
L P - Tout ne sert à rien avec toi.
L G - C’est la guerre.
L P - Leur guerre.
L G - On n’a plus rien à nous. On survit grâce à ce que le reste du monde veut bien nous donner. On est des réfugiés sur notre propre terre. À quoi ça sert, d’imaginer ?
L P - Parce que tout est à réimaginer. Moi j’ai pas envie d’être un réfugié. Moi je suis un citoyen qui pense, qui imagine, qui construit. Tout ce qui existe a d’abord été imaginé.
L G - Et t’imagine quoi, là, avec tes noyaux ?
L P - Une forêt.


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